Extraits

1ères lignes du roman, p. 11
 « Hier, dans la soirée, un violent incendie a complètement détruit la ferme désaffectée sise au lieu-dit  Le Relais, aux environs de Noirmoutier. Cette vieille masure servait encore de remise de foin. Malgré la prompte intervention des pompiers du village, commandés par le capitaine Roulin, tous les efforts déployés pour circonscrire le sinistre furent vains. Heureusement pour le propriétaire, Monsieur G. Meunier, maire du village, les dégâts sont couverts par l’assurance. On ignore les causes de l’incendie. Le commissaire Vuille de la police judiciaire, accompagné de l’inspecteur Guinchard, s’est rendu sur les lieux pour procéder à l’enquête.
Avec la destruction du Relais, c’est un des témoins de la civilisation première de la vallée qui disparaît. En effet, cette ferme était mentionnée avec plusieurs autres dans un ouvrage du siècle dernier (aujourd’hui introuvable), Les origines de Noirmoutier. »

Telle est la nouvelle parue parmi les faits divers dans le journal du chef-lieu. Rarement le nom de cette paisible localité était mentionné dans cet organe. Il fallait vraiment une circonstance de ce genre pour faire sortir de l’oubli ce lieu retiré.

p. 84
Au commissariat de police, le commissaire principal, Henri Latour, était assis derrière son bureau. Comme tout haut dignitaire qui se respecte, il tenait pipe à la bouche. Pour l’éclaircissement des affaires, la Sûreté ne doit-elle pas beaucoup à ce précieux « collaborateur » ? Parmi les titulaires qui assurent la relève des Maigret et autre sorcier de la police judiciaire, ce « brûlant petit volcan » semble devoir conserver ses droits de traditionnelle assistance. Ainsi en a décidé l’usage, le détective chevronné ne saurait se passer d’un tel attribut. Il faut reconnaître que la contemplation des volutes de fumée qui s’en dégagent a le pouvoir magique de vous transporter dans le monde éthéré des spéculations avantageuses. L’intéressé, sans le laisser paraître, sait très bien qu’en sous-estimant ce « compagnon de bouche », il risque d’encourir la perte des titres de notoriété, voire même de noblesse, qui lui sont attachés. C’est pourquoi le commissaire se complaisait dans le nuage de fumée qui l’entourait. Il rêvassait sur la tournure qu’allait prendre l’affaire en cours. Une fois de plus son nom figurerait en première page dans les journaux.

p. 130 et 131
Le détective privé, Jean-Sébastien Mock, trouvait intérêt à l’enrichissante lecture de l’ouvrage du célèbre psychiatre. Un chapitre surtout devait le passionner. En approfondissant l’étude des « manies dominantes » qui portent à la pyromanie, l’auteur a remarqué que la folie de la mesure, de la méthode, occupe le premier rang. La « métromanie »(…) est l’apanage de tout être humain. A son stade primaire, chacun de nous la pratique sous des formes variées. Un tel ne pourra regarder passer un train sans chaque fois compter le nombre de ses wagons ; tel autre mesurera l’écartement de ses pas afin d’éviter les lignes de traverse du trottoir …(…) L’association de deux obsessions, celle du feu et de la mesure, soigneusement étudiée dans un nouveau chapitre, intitulé « Les pyrométromanes », semblait définir le cas typique intéressant Jean-Sébastien.

p. 148 et 149
- Pour commencer, je remercie Monsieur le commissaire principal pour le qualificatif de « fou » qu’il a bien voulu me décerner ; dans la partie d’échecs que nous jouons, la tactique d’un « fou » est toujours capable de renverser une situation aussi compromettante soit-elle ! Merci de m’avoir autorisé à reprendre la partie sous ce « fol attribut » (Fd2 sur l’échiquier en notation algébrique). Ensuite que dire de l’intempestive mise en évidence de deux nouveaux « pions » (f6 et e7) sur le terrain des opérations ? Pour mon compte, cet intermède m’aura donné l’occasion de me réjouir puisqu’il a permis à Monsieur le commissaire Latour de m’octroyer un titre qui, sur l’échiquier, est des plus flatteurs ! En effet chaque joueur d’échecs sait que la valeur d’un « fou » (Fd2) est sensiblement égale à celle de «la tour » (Td7) !

p. 154
Il approcha sa cigarette au bout du lacet attaché à la queue de la souris. (…)La souris devint anxieuse, devinant que quelque chose d’anormal se passait. Les yeux de tous les assistants étaient fixés sur elle. Quelques longues minutes passèrent dans le silence le plus absolu. (…) Soudain, une longue flamme étincela au bout du lacet. Elle dura pendant quelques longues secondes, le temps de consumer le petit bout de bois, pour ensuite s’éteindre, cependant que le lacet resté embrasé continuait de se charbonner, préparant la prochaine mise à feu. Pendant toute la durée de cette flamme, la souris, terrorisée, resta inerte, figée dans un coin de la cage. (…)
- Je vous laisse juge, reprit le détective, sur les conséquences de la présence d’une  telle souris sous un tas de foin, par exemple, où, traquée, elle ne manquera de se réfugier ! (…) Pour plus de sûreté, l’incendiaire lâchait chaque fois deux souris ainsi harnachées. Vous comprenez maintenant pourquoi on a pu constater qu’il y avait deux foyers à l’origine de l’incendie du Monastère ?

p. 177 et 178
Ce faisant, si l’aveu ne vient pas, il arrivera un jour où l’on reconnaîtra le coupable par les quelques derniers qui ne se sont pas encore confessés !
- Prenez garde, Monsieur le curé ! Le secret de la confession vous interdit ce raisonnement qui est subordonné à l’identification des pénitents.
- Soyez sans crainte, Monseigneur, un prêtre ne faillit jamais à ce devoir sacré ! Aussi, pour dérouter mon esprit par trop méthodique, très tôt je me suis imposé une discipline très sévère. Mon attitude au tribunal de la pénitence fut dès lors distante et réservée, les yeux continuellement baissés… (…) Cette discrétion me fit commettre une grossière bévue ! Après avoir écouté une confession semblant provenir d’une jeune pénitente à la voix grêle, je lui adressai le réconfort et les encouragements se rapportant à sa condition. Puis, lui ayant donné l’absolution, je la renvoyai. (…) A l’instant où elle sortait du confessionnal, j’entendis un patatras. Curieux de voir si elle ne s’était pas fait de mal, j’entrouvris la porte et je vis avec stupéfaction que la personne étendue n’était autre que Monsieur le maire !

p. 268
En ce matin du 1er mai 1961, une grande effervescence régnait aux abords du Palais de Justice. A huit heures, ce jour-là, s’ouvraient les assises de la criminelle « affaire de Noirmoutier ». Bien avant l’ouverture de ce procès, toutes les places disponibles dans la grande salle d’audience étaient occupées. Bon nombre de curieux n’ayant pu entrer devisaient par groupes sur l’esplanade du prétoire. Des gens de Noirmoutier avaient, pour l’occasion, fait le déplacement au chef-lieu. Plusieurs d’entre eux devaient témoigner ; ce faisant, l’intérêt qu’ils accordaient à la procédure n’en serait que rehaussé…
Si la sentence prononcée à l’issue de telles assises ne laissait aucun doute – l’accusé, un maniaque taxé de « pyrométromanie » ne pouvant encourir la responsabilité de ses actes – il fallait donc qu’un autre intérêt incitât tant de curiosité. La rocambolesque séance d’information, tenue six mois plus tôt au collège de Noirmoutier, était encore à la mémoire de chacun. Le regret de n’avoir pu y assister entretenait pour beaucoup le secret désir de la voir se renouveler à l’audience du tribunal. Le héros de l’aventure, le jeune détective Jean-Sébastien Mock, avait sûrement préparé une fulgurante intervention.

p. 300
Paraissant très sûr de lui-même, tel un digne chevalier de saint Yves, faisant confiance en son protecteur, le défenseur aborda directement la deuxième partie de son exposé, celle qu’il avait préparée lui-même … Avec brio, il fit ressortir le caractère tragique de l’enfance malheureuse de son protégé. Puis, (..) le défenseur, dans une folle envolée en arriva à l’inévitable … à l’obsession qui guette sa proie, une proie sans défense …une proie usée par les revers d’une vie humaine… une proie sans secours extérieur … une proie qui finalement sombre dans la « pyrométromanie »…
Arrivé au summum du degré de persuasion – l’attitude des auditeurs en témoignait – habilement l’orateur en profita, ne manquant pas de faire ressortir, avec une vibrante émotion dans la voix, toute la part de responsabilité que tous les membres de la société encourent à l’égard des malheureux déshérités de cette sorte.

p. 352
Du haut de sa tribune, le Président de la Cour était au contraire captivé au plus haut degré par les bouleversantes révélations du jeune détective. En silence, il réalisait toute la portée d’un tel chambardement. Cependant, après les dernières précisions données au sujet du comportement de l’assassin dans l’affaire de Noirmoutier, le Président ne put se retenir d’intervenir :
- Monsieur Mock, coupa-t-il, si je me permets d’interrompre votre palpitante controverse, ce n’est pas pour vous adresser la moindre critique. Loin de là ! Votre méthode de procéder, basée sur la logique la plus naturelle et à l’appui des preuves les plus convaincantes, votre manière parfaite d’exposer les faits aussi, tout cela au contraire ne peut que nous suggérer de l’admiration à votre égard. Mais si pareille divulgation de monstruosités nous laisse pantois, nous devons cependant déplorer qu’elle vienne après coup. Pourquoi ne pas l’avoir faite au cours de votre déposition ? Votre devoir était d’éclairer la justice. (…) A n’avoir pas dit toute la vérité, vous tombez sous le coup de la loi … votre comportement est punissable.

Dernières lignes du roman p. 430
Un chaud rayon de soleil filtrait alors au travers d’un vitrage. De la rue parvenaient les accords lointains d’une entraînante marche. (…) En prêtant l’oreille, à mi-voix, ils échangèrent leurs impressions :
- C’est le cortège du « Premier Mai » ; c’est aujourd’hui la fête des travailleurs, précisa Jean-Sébastien.
- La fête du muguet, enchérit Elise …
- Oui ! C’est l’éclosion du printemps …
- La saison de l’espérance … devait conclure l’épouse enceinte…
Doucement, lentement, Jean-Sébastien releva la tête … Elise de son côté baissa les yeux … un échange du regard s’ensuivit …
Jamais le quatrain de Gustave Rousselot ne devait trouver plus parfaite résonnance :

« Un seul rayon trahit le jour
Un seul accord trahit la fête
Un seul vers trahit le poète
Un seul regard trahit l’amour »

Aimer !... Véritablement aimer !... Ne serait-ce pas le seul moyen, la dernière chance encore, en mesure de faire triompher la justice ?...